RRRrrrr!!! Drôle de titre pour un film… Pourquoi donc un tel
titre ? Le film en lui-même n’apportera aucun élément de réponse, j’ai
personnellement ma théorie qui m’encourage à dire que le réalisateur a songé qu’il
s’agissait d’un bruit qui pourrait faire penser aux primitifs hommes
préhistoriques et à la supposée sauvagerie de cette époque au yeux du grand
public.
J’aurais également pu penser au grognement d’une bête sauvage, comme lors de
la présentation du titre… mais l’unique apparition d’une créature dangereuse (j’omets
volontairement le ver de terre géant) à lieu dans les dernières secondes du
film… et quelle créature ! Un dinosaure !
Alors que l’action est datée, à
-35000... Les dinosaures étant, rappelons le, éteints 58 millions d’années
auparavant ! Aussi choquant que cela puisse paraitre il s’agit pourtant d’un
anachronisme des plus fréquents (pour de plus amples détails je vous renvoie à
l’article de Guiton : Prehistoric-Man et les dinosaures).
Cette date de -35000 est-elle en BC (Before Christ) ou en BP (Before
Present) ? Aucune précision, mais à 2000 ans près est-ce vraiment important ? Nous
partirons ici, et dans les futurs articles sur ce film, du principe que peu
importe cette distinction aux vues de la durée de cette période (représentant
plus de 99% de histoire de l’humanité) et de la datation somme toute relative
en préhistoire, celle-ci n’étant toujours qu’une estimation à quelques milliers
d’années près.
Mais aucun élément de réponse concret, d’autant plus que les hommes
préhistoriques parleront de façon normale tout au long du film, excepté à deux
moments, sur lesquels nous reviendrons plus tard, et oui, encore une fois un
moment bien agréable que de ne pas entendre : « moi homme fort,
moi chasser ouga ouga ».
Bref, je m’attarde sur le titre de ce film et n’entre pas encore dans le vif
du sujet, mais je souhaitais tout de même introduire mon sujet en parlant de la
première chose que l’on aborde d’un film, son titre. Mon but ici ne sera pas de
donner un avis sur ce film et de dire si je le conseil ou non, je laisse ce
soin aux critiques de cinéma et me contenterais de pointer du doigt les
exactitudes ou inexactitudes de cette œuvre cinématographique.
Dans cette première partie, je n’aborderais pas particulièrement les hommes
préhistoriques et souhaite parler d’une chose évoquée à quelques occasions dans
le film, la fouille archéologique. En effet aussi curieux que cela puisse
paraitre le thème apparait, grâce à un personnage nommé le fouilleur (vous l’aurez
compris, l’archéologue).
Il me semble important d’aborder les quelques scènes attribuées à ce
personnage car sans archéologie la préhistoire serait totalement inconnue, il s’agit
de la seule source concernant cette époque, pas de textes, uniquement des
artefacts (les réalisations de l’homme) à extraire du sol pour comprendre le
mode de vie de nos ancêtres. Sans cet apport de l’archéologie, ce serait l’émergence
du créationnisme et dans la pensée commune l’apparition d’hommes modernes dès
les origines et une évolution inexistante. Je vais encore une fois me lancer
dans une interprétation personnelle mais je pense que ce personnage n’a pas été
inséré dans le scenario par hasard, que le souhait d’Alain Chabbat était de
rappeler les liens étroits entre les archéologues et la connaissance du passé,
principalement en ce qui concerne cette période. Opinion confortée lorsqu’un de
ses compagnons, le regardant, lui dit qu’ils sont les premiers hommes et qu‘il
ne trouvera rien, le fouilleur est donc bien l’archéologue à la recherche d’ancêtres…
rappel quant à l’existence d’autres hommes avant l’homme moderne ici représenté
(pour n’en citer que les plus connus, l’homo erectus et l’homo habilis) ? Certainement,
un personnage disant « avant on marchait sur quatre pattes,
maintenant on marche sur deux pattes, si ça se trouve bientôt on marchera sur 0
pattes », référence évidente aux premiers hominidés.
Vous l’aurez compris je trouve que cette intention est louable, car rappeler
que le travail de l’archéologue est essentiel ne peut jamais faire de mal. Mais
qu’en est-il sur le plan historique ? Alors, non, désolé de briser une idée qui
aurait pu germer dans l’esprit des personnes ayant vues le film, mais l’archéologue
et la fouille pratiquée ici n’ont certainement pas existé à l’époque des hommes
préhistoriques ! Je vais donc faire un rapide historique de l’histoire de l’archéologie
et des méthodes de fouilles, rapide car je ne doute pas qu’un autre media sera
un support plus adapté à ce genre d’explications.
Des prémices à l’archéologie apparaissent dans des temps très reculés, des
textes très anciens en faisant parfois mention. Dans ces temps il s’agit
cependant d’une vision encore très lointaine de l’archéologie moderne, soi les
trouvailles seront de nouveau enterrées religieusement (par exemple en Chine,
en 430 AD, lors de la découvertes d’une tombe par le baron Zhu Lin) soi elles
servent d’appuie pour maintenir le gouvernement ou une religion qu’il promeut. Pour
exemple nous pourrions parler de la découverte de la statue d’un ancien dieu
babylonien, Shamash, par le roi de cette même cité au 9ème siècle
BC, Nabou-apal-iddina, le souverain voulant rétablir le culte de cette
divinité. Dans la même idée, afin de renforcer la chrétienté naissante de
l’empire romain, Constantin qui voudra retrouver les tombes des 12 apôtres. Nous
le voyons au travers ces quelques exemples, l’archéologie existe déjà en un
sens, bien que loin de ses conventions actuelles, mais est souvent dû à des
erreurs lors de constructions (comme notre tombe chinoise, qui après avoir été
étudiée par des érudits sera de nouveau enfoui… les plus aventureux pourraient
y voir des prémices de l’archéologie de sauvetage) ou a un désir de manipuler
la population. Ce dernier rôle l’archéologie en sera l’actrice pendant très
longtemps, le point culminant étant sans doute au 19ème siècle, à
l’apparition de la notion de nationalisme, lors de courses entre les nations
pour prouver leurs supériorité sur les autres. Le règne de Napoléon III est
bien illustratif de ce genre de manipulation autour de concept d’identité
nationale, en effet certains historiens et hommes politiques, comme François
Guizot, avaient lancé l’idée que le présent était inscrit dans une continuité
historique et l’empereur fera par exemple rechercher Alesia (les Gaulois étant
devenu un symbole de l’unité nationale), alors qu’il sera lui-même en posture
délicate, un haut symbole de la résistance de ces soi disant ancêtres.
Cependant l’archéologie va relativement disparaitre suite à l’essors du
christianisme qui considérera les vestiges anciens, païens, comme maléfiques. Entre
le 15ème et le 16ème siècles une prise de conscience sera
faîte, après une redécouverte de la culture gréco-romaine, les princes vont
rivaliser dans la recherche de bâtiments anciens dans le but d’en construire de
nouveaux en utilisant les matériaux du passé (tel les colonnes des temples). À
ces occasions des objets sont découverts dans le sol et des savants vont tenter
de les mettre en relation avec les textes anciens, l’archéologie sera en train
de renaitre.
À la renaissance le terme d’archéologue ne sera cependant
pas encore usité au profit de celui d’antiquaires, qui désignera les
hommes détenteurs d’un savoir sur la vie des anciens. Cependant, contrairement
aux archéologues que l’on peu donc voir comme leurs descendants, ils ne s’intéresseront
qu’aux objets beaux et rares ou aux curiosités (pouvant par exemple comprendre
des animaux contemporains à deux têtes ou cinq pattes), conservés généralement
dans ce que l’on nomme un cabinet des curiosités. L’archéologie n’existe donc
pas encore en temps que tel, elle est relégué au rang des curiosités et a pour
unique but le prestige.
C’est véritablement au 18ème siècle que l’archéologie semble
prendre son essor, dans les pays scandinaves dans un premier temps. Ces
derniers ne vont plus seulement appréhender la recherche des vestiges du passé
comme une chasse au trésor, les artefacts et leur place dans le sol vont
apparaitre comme des traces du passé pouvant être interprétées. Les fouilles
auront cependant parfois lieu de façon violente, comme lors de l’utilisation de
dynamite par l’équipe de Schliemann à Troie par exemple.
La découverte de Pompéi et d’Herculanum où la chasse au trésor va provoquer
de nombreuses dégradations des sites, notamment avec des fresques arrachées, va
causer un changement des mentalités et permettre l’apparition de méthodes de
terrain et d’un protocole d’étude vraiment scientifiques. C’est donc au 18ème
siècle que nait véritablement l’archéologie, un métier par conséquent
extrêmement récent et certainement loin des préoccupations des hommes
préhistoriques, pour lesquels le mode de vie était bien différent du notre, et
où les chasses au trésor n’avaient pas leur place. Rappelons enfin le rôle de
Darwin dans le domaine de la préhistoire, en effet avant sa théorie de l’évolution
les recherches archéologiques ne concernaient que les périodes historiques, la
recherche préhistorique nait donc véritablement au 19ème siècle.
Une apparition très précoce de l’archéologue dans ce film donc, mais qu’en
est-il de l’exactitude de la méthode de fouille ? Belle image qui nous est ici
donnée de la fouille archéologique, nous comprenons vite qu’il s’agit d’une
représentation de la fouille horizontale… mais fouiller ainsi sur un chantier
de nos jours vous assurera un allez simple dans une sépulture !
Lorsque l’archéologie était encore naissante certes les fouilles étaient
pratiquées d’une façon scandaleuse aux yeux des archéologues actuels, j’ai déjà
évoqué l’utilisation de méthodes radicales. Mais même si cette discipline est
dans tous les cas une destruction elle a l’ambition de conserver des traces de
la fouille afin de comprendre la position des artefacts et de pouvoir la
réétudier une fois le chantier terminé, d’où l’intérêt de la prise de
photographies (bien qu’il serait inquiétant que le fouilleur du film soit
équipé d’un appareil photo ^^), de relevés sur plans ou de dessins. Ici une
unique fouille où nous comprenons que le relevé sera oublié.
Nous devons en grande partie ce protocole à André Leroi-Gourhan (1911-1986),
archéologue sur le site archéologique de Pincevent en France, qui souhaitait
comprendre comment vivaient les hommes et non uniquement la succession des
époques, par exemple il sera désormais possible de comprendre comment les silex
étaient taillés ou l’interaction entre deux sites.
Mais ce n’est pas là que la scène est la plus perturbante. Cette fouille qui
à mes yeux représente clairement une fouille dite horizontale n’est pas réalisé
selon les normes de cette dernière. Le personnage semble ici creuser de façon
incertaine dans un tas de terre, hors la fouille exige un certain de degré de
précision et de décaper le sol à plat et proprement, bref de toujours pouvoir
voir ce dernier et ce qui s’y dessine malgré les enlèvement de terre (je
simplifie mais c’est à peu prêt le principe d’une fouille horizontale aussi
nommée fouille ethnographique)… Si le processus de la fouille se passait ainsi
, d’une part les artefacts que l’on pourrait en extraire seraient bien moins
nombreux et ceux récupérés ne seraient qu’un unique gâchis car extraits d’un
contexte essentiels à l’interprétation mais non préservé, et d’autre part des
enfants (qui aiment généralement tant creuser) pourraient remplacer les
archéologues sur les chantiers de fouille…
Gildwin Bolöx